I'll Keep Coming - 2/2/2021 (Terminé)

Il y a un groupe.
C’est l’instinct, primaire, qui s’est fait lorsqu’elle les a remarqué.
Elle les regarde. Elle les fixe.
Dissimulée derrière les arbres au loin. Les troncs creux et froids, dénudés de leur feuillage.
Cachée dans les restants de neige. Elle n’a pas froid.

Il y a un groupe et puis rapidement, l’un d’eux qui reste seul.
Elle a hésité.
La forêt grouille et finalement,
Peut-être les animaux ont-ils senti ta tristesse, il paraît que ça a une certaine odeur.

Ils se cachent, ceux qui font vivre cette forêt.
Certains dorment, pour oublier l’hiver.
D’autres ont leur pelage de la même couleur que le froid pour se dissimuler plus facilement.
D’autres encore chassent.

Chassent peut-être les humains comme toi.

Quelques oiseaux t’ont suivi.
Au loin, un renard s’est enfui en sentant ton odeur.
Un écureuil a caché ses trésors et a escaladé les arbres au-dessus de toi.
(Qu’est-ce que tu fais avec ton papier ?)
D’autres oiseaux se sont posés. Ils chantent, joyeusement, prient pour la fin de l’hiver.
Un lièvre fouille dans les touffes d’herbe qui survivent au gel.
Sur une branche, là-haut, un hibou semble te fixer.
(Ah— ça a l’air marrant ! Elle aimerait essayer, aussi.)

La forêt n’est pas silencieuse. Elle ne l’est jamais.
Elle vit, la forêt.
Elle vit jusque dans son cœur. Bat, fort.

Les sons se rapprochent de toi. Les entends-tu ? T’enfuiras-tu, comme l’un de ses animaux effrayés ?
Tu sembles si calme. Elle te fixe, quelque part, dans cet air glacé.

Et alors, tu peux le voir.

Le pelage où le blanc et le gris se mélangent, à l’image de la forêt lorsqu’elle se couvre de neige, les sabots usés par le temps et ses bois,
Il s’est arrêté, là-bas. Pas très loin.
Il te regarde. Un peu de condensation lorsqu’il respire.
Sais-tu que les rennes vivent surtout en groupe ? Celui-ci est seul, cependant.
(Elle adore les rennes.)
Alors, il te regarde, immobile.

Dans l’air frais de la forêt. On te regarde, plier le papier. Elle te regarde, si attentive, si impatiente, de voir le résultat.
(Sauras-tu la remarquer ? Non, impossible, elle se fond si bien, dans le décor.)

Les oiseaux ne chantent plus. Ils s’envolent entre les branches.
Le hibou continue de te fixer. Le lièvre a relevé la tête, semble attendre.
L’écureuil a disparu. Le pelage du renard se distingue encore au loin, entre deux arbres sombres.

Et le renne respire respire respire, intrigué.

Tu sembles faire ça si bien ! Elle ne te lâche pas du regard, jusqu’à voir, entre tes mains, un renne miniature en papier. Un cadeau ? Pour le renne ?
En réalité. Elle ne sait pas lequel de vous deux l’intrigue le plus, si c’est toi solitaire ou le renne loin de sa famille. Que fait-il ici, pourquoi est-il venu jusqu’à toi ? Et toi ? Que faisais-tu ici ?
Même pour elle, la forêt regorge encore de tant de secrets ! Tu ne trouves pas ça incroyable, toi ? Es-tu seulement capable de remarquer, tous les murmures de la forêt, tout ce qui ne se dit pas entre les troncs glacés, tout ce qu’il se passe sous tes yeux, sans même que tu ne le remarques ?

Elle se demande à quoi vous pensez, quand vous venez ici.
À quoi pensais-tu ?

Pourquoi ne prends-tu pas peur, face à ce renne, si grand ?
(Sais-tu, que d’un simple coup de ses bois ou de ses sabots, il pourrait t’ôter la vie ?)

Mais ce n’est pas son intention.
Le renne respire encore et il s’avance, vers toi. Lentement. Il semble savoir ce qu’il fait.
(Ou bien, on le lui a dit.)
Il s’arrête, encore. Il n’est plus très loin de toi.
Tu ne sais pas, si ses yeux te regardent toi ou bien l’origami à son effigie.

Dans tous les cas, voilà qu’il baisse la tête, doucement, bas bas bas si bas, jusqu’à presque toucher le sol avec son museau, te laissant voir tous les détails de ses bois, trésor de la nature. Est-ce un bonjour ou bien un merci ? Qui sait ?
Et, malgré tout, tous les deux, le renne et toi, vous semblez
Même toi.

Et elle, au loin, elle te regarde, aussi.
Moi aussi, j’en veux un, qu’elle semble penser— mais elle n’ose pas t’approcher, encore.

Les oiseaux reprennent leur chant enjoué, comme s’ils souhaitaient fêter la magie de nos forêts.
Comme s’ils étaient heureux pour toi. Ils se perdent dans ses branches, derrière les feuilles qui survivent à l’hiver, observent la scène comme s’ils étaient venus assister à une pièce de théâtre.
Quelle sera l’issue ?
Connais-tu tes lignes par cœur ?
Tu ne dis rien, cependant.
Préfères-tu le silence ?

Pardon, la forêt est si bruyante.
Elle regorge de sons si rassurants mais parfois terrifiants.
Elle n’en a pas peur, elle. (Elle a plutôt peur de vous.)

C’est une musique qu’elle pourrait écouter tous les jours.

Alors tu vois, elle vous observe, avec une telle impatience. Comme un film dont on attend le dénouement final. Elle trouve, au fond,
Êtres solitaires perdus en chemin.
Les rennes ne vivent pas seuls. S’est-il simplement perdu entre les arbres, a-t-il été expulsé de sa famille ou a-t-il décidé de partir de lui-même ? Tant de questions dont tu ne connaîtras pas la réponse.
Elle pourrait savoir, elle.
(Il suffit de demander.)

Mais le renne semble apprécier ton offrande. Il souffle, comme on rigolerait, pousse ton origami du bout de son museau. Garde-le, le papier ne tiendra pas longtemps, dans la neige, dans la forêt, dans sa gueule s’il cherche à le prendre. Garde-le, comme trophée. Garde-le, ainsi, il sera protégé.
Il relève la tête avant de plier les pattes.
S’installe dans la neige en face de toi.
Baisse le museau une nouvelle fois.
Fait de cette forêt son salon, sa maison.

Et il t’y accepte.
Alors il te regarde et le renne ne fait que

Tu te demandes où elle est.
Elle est bien cachée ! Si tu devais deviner, elle est sûre et certaine,
Seulement lorsqu’elle accepte de se montrer. (Mais là, encore, comprendrais-tu ?) Elle se dissimule dans les nombreuses cachettes que la forêt peut lui offrir, elle se fond dans le décor si bien, que tout semble à sa place, que sa présence ne dénote pas avec le reste.

Tu sais. Elle n’est vraiment pas loin.
L’as-tu remarqué ?
Elle n’a pas des yeux d’oiseaux, aujourd’hui.

Tu as repris l’origami.
Le renne observe ta main. Tu parles mais il ne comprend pas ce que tu dis— c’est un renne après tout, il a son propre langage. Alors il baisse à nouveau le museau, lèche ta main, amicalement.
Sens sa chaleur qui réchauffe même la neige à vos pieds.
Sais-tu pourquoi les rennes mâles perdent leur bois, à l’instar des rennes femelles ? Leur bois, ça leur sert à déblayer la neige pour trouver à manger. Mais les rennes, eux, sont si robustes, ils ont le sang si chaud, qu’ils n’ont pas besoin de leur bois en plein hiver.
Ils ont le luxe de s’en passer.

Ils repoussent vite, ne t’inquiète pas. Les siens sont déjà si grands.
Elle pourrait les voir grandir de ses propres yeux, si elle les fixe toute la journée.

Et peut-être que le renne ne sait pas, que les humains ne sont pas des créatures solitaires. Ils sont sociaux, comme lui, mais pour lui— ta présence ici lui semble presque normale.
Peut-être a-t-il juste senti tes ressentiments.
Peut-être a-t-il juste envie de t’offrir un ami.
Peut-être a-t-il juste envie de t’ouvrir les portes de cette forêt.

(Elle te surveillera simplement, comme à chaque fois que quelqu’un d’extérieur met les pieds ici. Par curiosité, c’est vrai, mais surtout pour s’assurer que

Le renne souffle, garde son museau près de ta main.
Relève la tête lorsqu’un bruit semble l’interpeller. C’est juste un lièvre, blanc comme la neige, qui se rapproche. Il court court court depuis sa cachette près des arbres jusqu’à toi. Le renne l’accepte comme s’il faisait partie, lui aussi, de la famille.
Cette famille si étrangement composée. Un humain, un renne et un lièvre.
Mais la forêt est elle-même étrange, n’est-ce pas ?

Le lièvre s’arrête près de toi, hésite avant de pousser plusieurs fois ton bras du bout de son museau.
Moi aussi.
Il te fixe avant de recommencer.
Moi aussi j’en veux un.

C’est la forêt entière qui semble te regarder tandis que tu plies à nouveau le papier.
Elle aimerait apprendre. Ce serait compliqué, maintenant. Et il n’y a pas beaucoup de papier dans la forêt.
Mais ça a l’air si amusant !

Alors elle te regarde.
Le lièvre te regarde. Avec grande attention.
Puis lorsque le papier prend forme, à l’image de l’animal, le lièvre l’imite et se dresse sur ses pattes arrières, oreilles dressées, museau reniflant. La seconde d’après, il attrape le nouvel origami dans sa gueule et il s’enfuit, aussi vite qu’il est arrivé.
Disparaît entre les arbres et les buissons.
Les feuilles semblent s’agiter un instant à l'image de l’euphorie.
La forêt est heureuse.


Le renne n’a pas bougé. Il a juste regardé la scène— peut-être avec amusement, qui sait ?
Il sent ta main sur lui, il la voit aussi, il sent à quel point elle est glacée par rapport à la chaleur de sa peau. Son pelage doit être mouillé à cause de la neige mais tu sens, en-dessous, l’épiderme qui suffit à réchauffer ta main.
Il souffle, incline le museau en avant comme pour t’inciter à continuer.
Un peu d’affection.
N’est-ce pas ce dont nous avons tous besoin ?

Alors, il se penche en avant, couche sa tête sur tes jambes.
Tu dois avoir froid. C’est sa façon de te réchauffer.

Il ne bouge plus.
Il te laisse faire.

Combien de temps est passé ? Quelques secondes, quelques minutes, une heure ?
Les rennes ont-ils la notion du temps ?
Il n’a pas relevé la tête, cette fois-ci, lorsqu’il a entendu du bruit.

C’est le lièvre blanc qui revient en sautillant dans la neige. Il n’a plus l’origami.
Il s’arrête près de ta main libre et juste à côté, il y dépose une petite pierre. Aux reflets de la couleur de l’arc-en-ciel. Ce sont ses plus beaux trésors, tu sais.
Elle accepte parfois de s’en séparer, lorsqu’elle fait de belles rencontres.
C’est sa façon de te remercier.

Et le lièvre s’enfuit à nouveau.
C’est ce qu’elle fait toujours.
Observer de loin.

La forêt est bruyante mais une fois qu’on s’y est habitué, elle est si
Tu ne parles pas beaucoup. Beaucoup d’entre vous discutent si longtemps avec les animaux qu’ils croisent, comme s’ils étaient capable de décoder votre langage si compliqué. C’est compliqué de parler, n’est-ce pas ? Choisir ses syllabes, ses mots, et bien les prononcer car sinon ça n’a pas la même signification, tenir compte des règles établies et puis l’intonation de la voix aussi et les gestes associés.
Les animaux sont bien plus simples lorsqu’ils se parlent.
Un simple clignement de paupières veut tant dire.

Confortons-nous dans le silence.
Paradoxalement, elle adore discuter. La forêt a tant a dire, après tout.

Alors le renne, finalement, redresse la tête, doucement.
Pour éviter de te blesser. À force de les porter si fièrement, on en oublie parfois, les couronnes qu’on porte jusque si haut dans le ciel. Il baisse le museau, comme si c’était sa façon de te dire merci.
Souffle encore.
Nuage de condensation.

Le vent se lève, une petite brise.
Ça fait danser les feuilles.

Et dans le vent,

« Reviens vite. »

Et le bruissement des feuilles, plus fort encore.
Est-ce le bruit du vent qui s’infiltre dans les arbres ou bien celui d’une fuite ?
Ou autre chose encore ?

Le renne ne s’en soucie pas.

Ils te regardent partir.
Le renne et elle.
Il répond à ton signe de main avec ce qu’on pourrait comparer à un hochement de tête, secoue les bois, fait tomber la neige qui s’était posée là. Le renne s’est relevé, il t’a suivi, lentement.
Les oiseaux sautent et volent dans chaque arbre en dessous duquel tu passes.
Les buissons frissonnent à ton passage, la forêt grouille.

Petit à petit, tu distances le renne. Ou bien est-ce lui qui s’arrête simplement. Il pourrait te rattraper vite, s’il le voulait. Mais sa maison est là et la tienne est ailleurs.
Le renne reste un renne. Il ne pourrait survivre trop longtemps en dehors de cette forêt.
Et peut-être aussi a-t-il de la famille.

Mais il sait que tu reviendras.
Ce n’est qu’un au revoir.

Les oiseaux t’ont suivi jusqu’aux derniers arbres. Ils ont chanté, haut et fort, fiers, rien que pour toi. Pour te porter bonheur et pour te dire au revoir. Ils ont chanté avant de retourner dans les arbres, cachés, reprenant leur vie comme si rien de tout cela n’était arrivé.

Et si tu te retournes, tu pourras remarquer