All Saints Day [PV : Kitten / Mars 2021 - Terminé ]

Forsaken.

Un nom bien singulier qui n’augure pas grand chose de bon.
C’était la deuxième fois que Kitten venait à l’hôpital, du moins… officiellement. 4 mois étaient passés depuis son réveil et depuis qu’elle s’était faite sa place chez les Pirates, elle n’avait plus senti la nécessité de voler des médicaments chez eux. Les Greens étaient sans aucun doute les plus fortunés sur bien des points actuellement et s’il y avait bien un groupe à viser dans le futur, c’était eux.

Cela faisait également 4 mois que ses recherches continuaient, et que jusque-là personne n’avait vu de trace de Mylendra. Les nuits de Sam devenaient de plus en plus chaotiques et l’idée de ne jamais savoir ce qui lui était arrivé hantait ses jours comme ses nuits. Que ce soit dans les cauchemars ou les rêves, End s’y trouvait presque toujours; et dans les deux cas, le réveil était absolument insupportable.
Alors elle fuyait le sommeil comme la peste et chaque nuit sans rêve était comme une bénédiction. Aucune quantité de maquillage ne pouvait camoufler les immenses cernes qui creusaient son visage mais Kitten s’en foutait pas mal. Elle voulait des réponses, peu importe comment elle les obtenait. Alors elle demandait partout autour d’elle, peu importe le groupe. Elle faisait de son mieux pour garder de bonnes relations avec les autres habitants, ou juste éviter les animosités en ne laissant pas ses envies de foutre le bordel prendre le dessus. Arriver dans un monde pareil et devoir se tenir un minimum à carreau pour avoir des réponses ? Un sacré défi pour elle.

C’était ainsi la deuxième fois que le nom de Mylendra n’apparaissait pas dans les registres des personnes décédées. Peut-être qu’elle était encore en vie. Peut-être que son corps n’avait pas été retrouvé. Ou qu’il était impossible à identifier. Peut-être qu’elle était à l’extérieur de cette étrange bulle qui entoure la baie.
Mais il fallait qu’elle sache, et vite. Elle ne savait pas encore combien de temps elle pourrait continuer à chercher.

Alors cette fois on lui conseille quelqu’un et elle passe en quelques instants de la déception à la surprise, se demandant qui pouvait bien être cette personne que le personnel de l’hôpital pouvait lui conseiller. Elle se demandait également pourquoi est-ce que l’on ne le lui avait pas recommandé la première fois.
Alors qu’elle arrête l’homme qui s’apprête à sortir du bâtiment, elle pense comprendre pourquoi. Un visage de marbre, attendant un signe de sa part, attendant sa requête. Elle jeta un œil à la carabine dans son dos. Bien qu’ils se trouvent aux États-Unis, il était plutôt rare de tomber sur des gens armés. Surtout des gens armés qui se baladaient dans l’hôpital du coin.
Il ressemblait à un militaire, que ce soit par sa posture ou la façon déroutante qu’il avait de la regarder. Elle s’attendait presque à ce qu’il lui demande de faire 3 tours de stade et 200 pompes sur le champ. Rien de bien rassurant, mais elle n’était pas là pour faire amie-ami. Elle prit une voix calme et déterminée, elle voulait des informations et il allait falloir être la plus correcte possible; même si elle avait toujours eu du mal avec les flics.

”Bonjour, je suis Kitten. Le personnel de l’hôpital m’a dit que vous pourriez peut-être m’aider. Je cherche une jeune femme de 23 ans, les yeux bleus, mince, environ 10 centimètres de plus que moi, les cheveux chatains teints en rose. Nous avons été séparées pendant la tempête à cause d’un éboulement et je ne sais pas où elle est depuis, ni même si elle est vivante.”

Elle marque une pause et lui tend un dessin assez basique qu’elle avait fait, accompagné d’une description juste en dessous.

”J’ai été blessée pendant un long moment alors je n’ai pas pu chercher plus tôt. J’imagine qu’elle m’a cherchée aussi mais… je n’en sais pas plus. Si vous ne l’avez pas encore croisée est-ce que vous pouvez garder ça au cas où vous la trouviez plus tard ?”

Évidemment, il fallait tomber sur la tombe de service.

Bien qu'elle n'aie visiblement pas affaire au plus bavard, elle ne s'attendait pas à ce qu'il affiche son ennui ou son indifférence de façon aussi ostentatoire.

Putain, fais un effort, non ? Pourquoi est-ce qu'on m'a recommandé cet abruti de condé ?

Kitten s'efforça à afficher un petit sourire. Ça va quelle était forte à ça. Entre mentir à ses parents, à des flics ou n'importe qui d'autre juste pour s'amuser un peu, elle avait eu de l'entraînement. C'était à se demander si cet idiot faisait exprès ou non, mais plus le temps passait et plus l'incompréhension laissait place à de la colère, mêlée de frustration et de tristesse. Est-ce que ça valait vraiment le coup de s'ouvrir encore davantage à quelqu'un qui était aussi indifférent que ça ?

Elle l'avait bien vu la dévisager, cherchant une ressemblance entre Mylendra et elle, peut-être qu'il s'était demandé si elles étaient sœurs. C'était peut-être un abruti homophobe, comme tous ces gens dont le regard se tournait lorsque les deux femmes se tenaient la main dans la rue, leurs doigts entrelacés, qu'il fasse froid ou chaud. Cela ne l'avait que rarement énervée, juste légèrement agacée. Elle se contentait de les ignorer, elle ne leur devait pas une explication, une justification. C'était différent aujourd'hui.

Quels étaient les risques qu'il n'aie jamais entendu parler ne serait-ce que du concept de deux femmes qui s'aiment ? Peut-être très élevé. Les tatouages qu'elles voyaient sur son visage semblaient étonnamment contraster avec la rigidité et le fusil de l'homme en face d'elle.
Elle espérait peut-être plus de compréhension de sa part. Peut-être qu'il était juste quelqu'un qui n'affiche pas ses émotions en règle générale, mais cela ne voulait pas dire qu'il ne ressentait absolument rien. Si elle lui disait, cela lui ferait peut-être comprendre à quel point End était est importante pour elle. Bien qu'elle tiqua légèrement lorsqu'il lui demanda pour les registres, la jeune femme décida que cela valait le coup d'essayer.

”Oui c'est la deuxième fois que je demande pour les registres, aucune trace d'elle. J'ai écris son vrai nom et tout ce dont je pouvais me rappeler sur le papier. C'était… ma petite amie, on a été séparés par un éboulement dans les Immeubles Abandonnés. J'ai déjà cherché là-bas aussi et je suis certaine qu'elle n'y est pas.
Son regard s'assombrit. Y retourner était encore extrêmement difficile pour elle. Encore un peu trop récent, mais elle n'avait pas encore abandonné.
”J'espère qu'elle est toujours en vie, mais j'aimerais juste une conclusion à tout ça.”

Kitten ferma les yeux pendant un instant et se frotta les arêtes du nez en soupirant. Elle commençait à avoir du mal à réfléchir normalement, plutôt normal quand on dort 3 heures en deux jours.

”J'ai noté mon adresse également et vous pouvez voir que certains endroits me sont inaccessibles à cause de… mon groupe d'appartenance. Est-ce que vous pensez pouvoir m'aider ?”

Le chemin de pensée de Kitten s'arrêta net alors qu'elle se faisait réprimander comme si elle avait encore 8 ans. Elle laissa échapper un souffle, plus qu'un rire jaune, mêlé d'épuisement et d'exaspération. Elle avait potentiellement besoin de lui, oui, mais ça commençait à devenir très fatiguant.

Sam avait assez bouffé en quelques mois seulement, à perdre le peu de repères qu'elle avait, à arriver un an après tout le monde dans des communautés déjà bien en place. Même si elle arrivait à se faire plus ou moins à la situation actuelle car elle savait s'adapter en (presque) toutes circonstances, le monde avait définitivement changé pour tous les habitants du nouvel Arcadia Bay. Où allait-elle fuir si les choses ne tournaient pas en sa faveur, si elle sentait qu'elle perdait pied ? Ce n'est pas comme si elle pouvait changer de pays, encore moins de ville.
Visiblement ce gars ne faisait pas dans la compassion. La patience de la jeune femme était en train de fondre comme neige au soleil. Sa voix manifesta un agacement certain (et voulu) lorsqu'elle répondit.

"Merci de votre sollicitude, mais j'ai pu fêter mon 20ème anniversaire dans ce magnifique endroit, j'ai passé l'âge de me faire réprimander par mes parents et encore plus par un gars que j'ai rencontré il y a à peine 5 minutes."

Elle croisa les bras et s'efforça de garder son calme, ce qui devenait de plus en plus difficile. Ce gars devait bien avoir une utilité si on le lui avait recommandé non ? Dans le cas contraire, c'était une blague de très mauvais goût.
Elle essaya de déceler dans son regard un intérêt autre que celui de jouer le flic chiant, mais rien de bien réactif. Qu'est-ce c'était que ce légume ? Il avait l'air d'imprimer, mais pas d'en avoir grand chose à cirer, à croire qu'elle l'emmerdait à lui raconter comment s'était passée sa journée de travail.
Elle jeta un regard noir en direction de la personne qui avait eu l'audace de lui conseiller cette personne pour l'aider avant de recentrer son attention sur le garde-chasse.

"Les Pirates. On est rarement bien vus partout et c'est plutôt normal. Je suis livreuse mais je ne suis pas la bienvenue partout."

Plus la ""conversation"" avançait et plus Kitten avait la sensation de parler à un opérateur téléphonique, celui qui écoute la moitié de ce que tu dis, qui t'infantilises un maximum et te prends pour le dernier des idiots à poser des questions aussi pertinentes que "Avez-vous pensé à débrancher et rebrancher la box ?".
Il fallait juste qu'elle arrête de le prendre personnellement. Elle était là pour Myllie.
Elle soutient son regard alors qu'elle lui donne sa réponse.

"Non, rien d'autre."

Il fallait qu'elle en finisse avant d'exploser, mais la communication était si difficile qu'elle avait peur qu'il y ait une information clé qu'il ne retienne pas.

Sortez-moi de là, vite.

Encore à la traîter comme une gamine. Mais bon, niveau frustration c’était le dernier de ses soucis. L’infantilisation ça la faisait tiquer deux secondes, peu importe.
Elle allait se barrer et ne plus voir sa tronche impassible, elle avait dit ce qu’elle avait à dire.

Elle l’observe en fronçant les sourcils alors qu’il semble se fermer dans sa bulle, qu’il semble chercher ses mots, qu’il semble pris dans une réflexion intense.

Quoi tu vas pas me sortir un discours larmoyant, si ? C’est clairement pas ton genre.

Elle faillit lui sauter à la gorge alors qu’il parle encore des bâtiments abandonnés. Ses yeux s’écarquillent et ses mains se crispent de frustration alors qu’elle hurle dans son esprit.

JE SUIS DÉJA ALLÉE LA-BAS 50 FOIS PUTAIN DE-

Toutes les émotions semblent s’estomper d’un seul coup. Elle se répète les paroles de son interlocuteur dans sa tête et l’un d’eux semble résonner d’autant plus : “abandonner”.

Encore. Comme si la vie ne lui rappelait pas déjà que tout ce qu’elle entreprenait était un échec, qu’au bout du compte il était bien plus facile d’abandonner. C’était presque rassurant quelque part, de se dire qu’on est une moins que rien, de se dédouaner de toute responsabilité. Ca serait plus simple d’avancer et de se dire qu’elle était morte, non ? Tourner la page, fuir à nouveau.

Kitten porte ses deux mains à sa bouche pour masquer ses lèvres tremblantes, mais son regard ne tromperait absolument personne. Elle a la sensation de tomber. Les yeux dans le vague, elle perd la notion du temps pendant dieu sait combien de secondes alors que ses souvenirs prennent le pas sur la réalité.

Elle revoit le sourire flamboyant de Mylendra alors qu’elles se tiennent la main sous un beau soleil d’été. Elle se souvient de la sensation de ses lèvres contre les siennes. Elle ressent la chaleur de ses bras qui l'enlacent le jour de leur deuxième anniversaire.
Elle voit le visage terrifié de End qui appelle son nom alors que la rambarde des escaliers cède sous la violence de la Tempête. Elle ressent son impuissance alors qu’elle se fait emporter par le souffle. La douleur insupportable puis la perte de sensations alors qu’arrivent les gravats et l’obscurité. La difficulté du combat pour respirer et rester consciente. La perte de repères alors qu’elle se réveille indemne physiquement, mais seule, au milieu d’une ville désolée. Seule, à nouveau.

Sam revient à la réalité, ses jambes l’avaient très visiblement trahie. Des larmes coulent sur ses joues, des larmes qu’elle n’arrive pas à arrêter. Elle serre les dents et tente de remplacer cette tristesse par n’importe quoi, de la colère peut-être. Mais contre qui d’autre qu’elle-même ? Forsaken ne faisait que lui rappeler la vérité après tout et il n’était pas le premier à le suggérer.

Elle n’allait pas y arriver, comme d’habitude, hein ?

Entre deux sanglots elle remarque du mouvement derrière ses larmes et a un mouvement de recul. Elle s’attendait à ce qu’il tourne les talons et la laisse ici, sans rien dire.

Une main tendue vers elle. Une main abîmée par le temps, une main qui n’est pas des plus élégantes, pas des plus douces. Mais elle est là, proposée à elle. Aurait-il finalement pris pitié d’elle, imité les normes sociales juste pour tenter d’être un peu plus humain ? Ou était-ce un geste sincère, une faille dans une armure d’indifférence ? Si c’était le cas, qu’est-ce qui pourrait être plus réel que la compassion de quelqu’un qui n’a aucun engagement envers elle, qui ne s’encombre pas de paraître miséricordieux ?

On lui avait déjà jeté des regards de compassion, presque comme s’ils disaient “Mes condoléances”. Certains semblaient lui dire qu’il y avait peut-être encore un espoir, qu’il était trop tôt pour arrêter. Ils partageaient sa peine parfois, elle pouvait le sentir, mais elle ne restait jamais bien longtemps, ne voulant pas se lamenter, ne pas paraître fragile.

Les larmes tombent lentement sur le sol, sa gorge est nouée et aucun son ne sort de sa bouche. Son regard se fixe à nouveau sur la main tendue. Kitten n’ose pas relever la tête de peur de croiser à nouveaux ces yeux remplis d’impassibilité, elle n’est pas certaine d’avoir la force de le supporter.


A quoi bon résister ?


Elle ignore la main et se jette à son torse, ses mains agrippant la veste de Forsaken, elle enfouit sa tête dans le manteau du garde-chasse. Ses épaules se tendent, elle sent qu’elle va exploser, ses doigts tremblants serrent plus fermement la veste. Elle hurle. Elle hurle comme si le corps inanimé de Mylendra se trouvait devant elle. Ses cris à peine étouffés par le manteau résonnent dans le couloir, ils attirent sans doute le regard des curieux, mais ça n’a pas d’importance.
La douleur est mentale, oui, mais elle le ressent physiquement à présent, une douleur aiguë qui emplit sa poitrine, comme si on l’avait poignardée. Mais pas d’adrénaline pour soulager cette douleur, elle ne relâche pas sa prise, comme si toute son énergie était dédiée à ses mains. Comme si elle ne pourrait plus jamais se relever, comme si elle allait rester à terre et alors peu importe ce qui arrivera.

Elle tente de parler mais seuls les cris et les sanglots semblent pouvoir sortir de sa bouche. Une litanie emplit son esprit et refuse d’en sortir, aucune autre pensée n’y a sa place : Je suis désolée je suis désolée je suis désolée je suis désolée je suis désolée je suis désolée

Peu importait qu’il comprenne ou non, elle refusait de le lâcher.
Un flash, son sourire, encore. Elle avait toujours pensé qu’il était aussi flamboyant que le soleil. Aujourd’hui il la brûlait de l’intérieur.

Qu’est-ce qu’elle donnerait pour rentrer à la maison...

Il était peut-être temps d'arrêter de se mentir à elle-même. Samia était faible. Quelqu'un qui ne l'a ménage pas dans ce qu'il fallait faire, c'était peut-être l'électrochoc dont elle avait besoin.

Son corps est secoué de tremblements incontrôlables et elle peine à respirer entre deux sanglots alors que ses poings serrent encore la veste de toutes ses forces.
Cela aurait pu être n'importe qui d'autre devant elle, son abandon n'aurait été que délayé. Petite et frêle, on il était facile de prendre pitié d'elle et cela bien avant la Tempête et tout ce qu'elle a pu engendrer.
De la compassion ce n'est pas ce qu'elle aurait recherché pour lui rappeler un constat si difficile. Briser les espoirs, briser les doutes, aller de l'avant. Voilà ce dont elle avait besoin et malgré son estime d'elle-même aux fond du trou, il y avait toujours cette fierté mal placée qui détestait qu'on la voie comme étant faible, comme une incapable.

Elle faillit être envahie d'un tressaillement lorsque Forsaken posa sa main sur son épaule mais elle ne s'en dégagea pas. Il lui aurait été difficile de décrire tous les stades de confusion qui l'envahissait à ce moment précis, un geste de compassion d'une personne aussi peu expressive, tout aussi étonnant soit-il, était néanmoins la moins violente qu'elle ressentait actuellement.

Il lui faillit plusieurs minutes avant que la tension de ses épaules ne se relâche graduellement, ses bras finissent par retomber le long de son corps. Elle s'essuie le visage de quelques mouvements de la manche, les pleurs cessent bien que ses yeux soient encore embués de larmes.
Elle tente de parler mais elle se sent encore incapable de prononcer le moindre mot, de peur que tout ne revienne à nouveau, qu'elle ne perde encore le contrôle.

Elle retire doucement la main de Forsaken de son épaule et se relève lentement. La respiration encore saccadée, elle parvient tant bien que mal à se reprendre après quelques grandes inspirations et secondes supplémentaires.
Elle essuie les dernières larmes de son visage avant de chercher son regard et de se racler la gorge; sa voix est encore un peu rauque alors qu'elle se remet à parler.

"Merci du conseil."

Voilà un visage qu'elle n'oubliera pas de sitôt. Kitten se tient droite et passe une main sur son visage alors qu'elle regarde vers la sortie. Elle se serait presque sentie mal d'imposer à quelqu'un un tel effondrement mental, mais l'insensibilité apparente de Forsaken chassa cette culpabilité de son esprit. Elle ne se voyait pas lui exprimer de la reconnaissance si facilement.

Après quelques instants d'hésitation, elle se décide à sortir, sans un mot de plus.