Qu’elle avait eut du mal à trouver le chemin du sommeil, après la mousse au chocolat - et le reste. Elle aurait pu se trouver troublée, interdite devant l’impossible qui s’ancrait pourtant dans sa réalité ; mais T-rex souffrait seulement d’une impatiente excitation. Elle devrait attendre demain pour en parler aux adultes qu'elle aimait bien, mais elle brûlait de se confier à sa meilleure (et unique) amie, Pissenlit ; et si elle était habituée à sa méchanceté sous-jacente, elle fut un peu déçue que son annonce - et sa démonstration - ne récolte pas plus d’enthousiasme. Elle en prit néanmoins son parti, comme d’habitude indulgente à l’extrême, pardonnant tout à l’idole ingrate.

Puis les lumières s’étaient éteintes, et Morphée se déroba pendant de longues heures alors. Aplatie sous la lourde couverture, T-rex murmura des histoires et des consignes au petit être au long cou tout à fait attentif à sa voix, frémissant à chacun des mouvements magiques qu’elle le sentait faire contre sa joue ou ses mains. Elle finit par s’endormir en même temps qu’elle décida de le nommer Alcide, ce dernier se figeant alors, lové au creux de son coude.

Peut-être la nuit porta conseil ; à son réveil, tandis qu’elle chuchote un mot gentil à Alcide elle réalise qu’elle aimerait bien comprendre qu’est-ce qui se passe exactement. Est-ce que c’est le jouet qui est magique ? Est-ce que quelque chose l’a déclenché ? Est-ce qu’il va rester vivant pour toujours ? Elle sourit pourtant : Alcide, ça lui va vraiment très bien.

Fière d’elle, elle enfile une des robes qu’elle a dans ses affaires après un brin de débarbouillage. Le morceau de tissu noir est à peu près à sa taille, contrairement à celle qu’elle portait la veille. Le col claudine du vêtement lui donne un air d’écolière que ses cheveux mal coiffés font vite oublier. Il est encore relativement tôt quand plusieurs de ses compagnons de chambre prennent le chemin du réfectoire commun, et après avoir enfilé ses fidèles baskets, elle songe à les imiter ; elle glisse Alcide dans une de ses poches, et prend mécaniquement leur suite.

Pourtant sur le chemin du petit déjeuner elle change d’itinéraire. L’idée lui trotte en tête depuis qu’elle a sauté du lit : si quelqu’un ici était bien capable de répondre à ses questions sur la magie, ce devait être un magicien. Et elle n'en connaissait qu'un. La station de radio n’est pas très loin, et faisant abstraction de l’heure ou de la logique, T-rex trottine en sa direction, persuadée que Merlin - qui sait tant de choses - l’aiderait dans sa quête.

Elle fourre une main dans sa poche pour s’assurer qu’Alcide est toujours là, et pour le sentir effleurer son doigt. Parvenue à destination, elle prend tout de même la peine de toquer à la porte dont la partie supérieure est vitrée. Perchée sur la pointe des pieds, impatiente, elle peine à hisser son regard à la base de la vitre qui laisse voir l’intérieur. Mais elle essaye. Elle ne discerne pas grand chose en vérité, et toque à nouveau, sur le carreau cette fois : “Bonjour Merlin ! T’es là ?”

Elle patiente, piétine, caresse le plastique vivant au fond de la poche. Elle est anxieuse et excitée à la fois, elle ne sait pas vraiment ce qu’elle va dire au magicien si celui ci consent à lui ouvrir les portes de son royaume.

Finalement elle se calme car elle entend le bruit des pas et la poignée qui tourne et les gonds de la porte qui grincent légèrement dans leur bruit caractéristique ; elle guette le visage familier et sourit quand elle le rencontre. Elle peine à cacher son impatience et prend sa suite avec une hâte non dissimulée, sans remarquer qu’il semble fatigué et un peu las. Les yeux se perdent une seconde sur le matériel alentour, les ouvrages, l’enchevêtrement d’objets hétéroclites qui nourrissent l’imagination fertile et confère à Merlin l’aura de mystère qu’il répand aisément et sûrement malgré lui dans l’esprit de la petite fille.

Elle baisse les yeux vers les plis de sa robe où Alcide a trouver refuge, pour vérifier qu’il est là, toujours vivant et qu’elle va pouvoir le montrer au magicien. Le coup d’oeil est interrompu par le paquet tendu et la proposition alléchante : “J’ai l’droit ??” s’étonne-t-elle. Mum aurait sûrement dit qu’il était tôt pour des bonbons, mais d’un autre côté il n’était pas là, et elle n’avait pas mangé de bonbons depuis longtemps. Sans vraiment attendre de réponse elle plonge sa main dans le paquet avec un air appliqué et en ressort le trésor sucré, une moue pour le moins victorieuse sur le minois.

T-rex serait bien incapable de prendre le temps de s’asseoir sur le petit lit offert en assise, et avant même d’avoir avalé le caramel qui lui colle les dents, elle entreprend de lui exposer le pourquoi de sa visite : “Tu connais les trucs magiques toi non ?” La diction est rendue imparfaite avec le sucre liquide qui se débat dans la bouche. Elle le fixe sans se démonter et sans vraiment lui laisser l'occasion de répondre. “Parce qu’il est arrivé un truc magique à Alcide hier... et c’est vraiment super cool mais je comprends pas et j’aimerais bien que tu m’expliques s'il te plait” s’applique-t-elle à relater poliment sans parvenir à vraiment structurer son histoire. Elle réalise : “Maintenant mon brachiosaure il s'appelle Alcide. Comme le paléontologue.” Elle voudrait lui expliquer qu’il a couru, qu’il aime les caresses sur la tête, qu’il a mordu Mum, mais les mots lui échappent parce qu’elle n’a qu’une idée en tête : lui montrer. Lui prouver. “Attends je te montre c’est mieux, ok ?”

Maigre sommation avant de défier une réalité déjà fuyante sous le dôme temporel. Elle opine du chef vaguement en même temps qu’elle s’applique à sortir avec la douceur d’une maman le petit dinosaure aux couleurs d’automne de la poche de sa robe. Elle pince sa langue entre ses lèvres serrées, attentive à l’extrême en déposant le dénommé Alcide dans son autre main qu’elle maintient à plat. “Voilà.” Elle caresse la tête haute-perchée. “T'as vu ?” C’est désordonné et impossible dans la petite bouche qui mime les mots pourtant. Elle regarde Alcide qui fait un tour, puis un autre sur lui-même, comme s’il jouait ou qu’il observait les alentours. Elle a un gloussement satisfait et émerveillée, avant de redresser la tête vers Merlin en lui tendant le jouet avec précaution. “Tiens !” Rien d’autre, rien qu’un mot comme si elle lui tendait juste un caramel, alors que le jouet fait de plastique semble pourtant fixer avec une certaine défiance l'adulte qu'on lui met sous le nez.

Sa parole est d’or et le métal précieux obnubile l’enfant qui fixe le jeune magicien d’un oeil attentif. Le caramel collant l’aide à rester silencieuse le temps qu’il observe, constate le petit miracle animé, presque chaud de la présence qu’il mime. Quelque part, T-rex est rassurée qu’il voit la même chose qu’elle, rassurée que l’exploit ne fut pas juste éphémère et factice, trop plein d’imagination et de magie puérile. C’était une magie qui prenait sur les grands aussi.

Elle réceptionne son compagnon quand Merlin le lui rend, précautionneuse toujours, délicate, douce, aimante, empruntant aux codes de ses parents absents. “Différente comment ?” demande-t-elle sans vraiment conscientiser sa question, la bouche en coeur, du tac-au-tac en réaction spontanée. Puis elle caresse Alcide d’un revers de doigt, la mine songeuse, rembobinant le film jusqu’à son point de départ :

“mmmmh bah… c’était hier.” Il avait seulement demandé quand ; mais elle brûlait d’expliquer comment. “C’était l’heure où on jouait dehors, et moi je dessinais et les grands sont venus m’embêter et ils m’ont pris Alcide et ils l’ont jeté dans l’herbe.” Elle inspire l’air qui manque pour que les mots continuent de filer. “Et après on devait rentrer mais du coup il fallait que je retrouve Alcide pour qu’il dorme pas dehors, donc je suis allée vite le chercher dans l’herbe.” Elle omet la colère diffuse et la règle enfreinte ; même les quelques larmes versées ensuite.

“Mais je le trouvais pas parce que il est petit et la cour est grande et j’avais pas bien vu où ils l’avaient jeté, les grands. Et yavait Mum avec moi pour m’aider à le chercher aussi.” Désordre narratif. “Enfin bref, on le cherchait et... finalement…” elle s’interrompt, se recroqueville légèrement des épaules, comme pour préparer son effet. “Il courait dans l’herbe super vite tout autour de nous !” Elle relève ses mains en ponctuation, les yeux écarquillés en écho au souvenir d’émerveillement qu’elle en a. “C’est Mum qui a réussi à l’attraper parce que il arrêtait pas de courir au début. Puis Alcide il l’a mordu alors je l’ai grondé et depuis il m’écoute et il court plus partout n’importe comment.” Elle hausse les épaules. “Et depuis hier bah il bouge toujours mais je sais pas pourquoi. C’est un vrai dinosaure alors ? Je peux lui apprendre des tours ? Il me comprend quand je lui parle tu crois ?” Chaque question en appelle une autre et elle se retrouve entraînée par sa propre réflexion, limitée peut-être, simpliste par certains aspects, mais tellement passionnée qu'il était difficile d'y mettre un terme.