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Journée basique, banale anormalité sur laquelle on apprend à surfer avec plus ou moins de facilité. Elle ne travaille pas encore parce qu’il est tôt, où plutôt n’est-elle pas censée travailler encore ; pourtant la voilà qui s’affaire ci-et-là, nettoie les instruments rescapés pour aider les collègues, les plateaux d’acier, fait l’inventaire de leur stock de matériel dans l’infirmerie, Freddy susurrant des mots doux dans les écouteurs défoncés qui vomissent les notes enchanteresses de son téléphone rechargé - à son plus grand bonheur.

Tête pragmatique pour éloigner les lames en travers du coeur, elle quitte l’infirmerie en pianotant les dernières notes de Bohemian Rhapsody d’une main sur sa cuisse. L’hôpital est bizarrement animé ces derniers temps se dit-elle jetant un coup d’oeil dans le hall avant de traverser leurs “urgences” de fortune (plutôt une sorte de dispensaire central pour les soins quotidiens). Puis elle remonte deux étages plus haut en direction de la bien-nommée réserve pour poursuivre son inventaire inopiné, mettre de l’ordre et occuper ses mains impatientes (c’est nouveau).

Are you ready, hey, are you ready for this?
Are you hanging on the edge of your seat?

L’infirmière arrive au coin du couloir qu’elle veut rejoindre mais un bruit la fait ralentir et approcher avec plus de discrétion ; là elle observe ce qui lui apparaît comme un intru. Le lycra noir et le masque ridicule sont néanmoins facilement reconnaissable et elle ne met pas longtemps à faire le lien avec l’individu qu’elle a déjà aperçu une fois auparavant. Et surtout, avec le pourquoi de sa venue. Elle hausse un sourcil à la fois défieur et excité en le regardant forcer l’entrée de la réserve de médicaments, mais patiente, soudain dans la peau de la stratège qu’elle aime être. Et alors qu’il pénètre la pièce, elle s’approche en retirant ses écouteurs et les laissant délicatement au sol avec son téléphone qui diffuse non sans ironie Another One Bites The Dust. De circonstance, s’était-elle dit avec un sourire.

Elle se poste finalement dans l’encadrement de la porte qu’elle finit d’ouvrir en grand. Le gonds grincent légèrement. “Je peux t’aider mon chou ?” demande-t-elle d’un air détendu adossée au seuil, avant de se camper fermement sur ses deux jambes, peu disposée à le laisser partir avec leurs maigres réserves. Sans qu’elle y prenne garde une fureur ancienne et trop refoulée prenait naissance dans son ventre et lui échauffait les poings qu’elle serrait sans s’en rendre compte.

Are you happy, are you satisfied?
How long can you stand the heat?

Elle le fixe d’un regard impassible, appuyée nonchalamment contre le chambranle, les bras croisés, et une jambe repliée en travers de l’autre tendue pour la maintenir debout. C’est à peine si les propos de l’intrus lui arrachent un clignement d’oeil. Elle l’étudie méthodiquement, avec une précision chirurgicale un peu étouffante, enregistrant son environnement direct, tentant de prévoir différents scénarios avec pour seul but d’avoir un coup d’avance sur lui. Ce qu’il a à dire a peu d’importance alors, parce que son dessein est très clair ; ce n’est pas le premier à vouloir s’approprier des ressources rendues rares (précieuses) et pas le dernier qui croiserait son chemin. Malheureusement pour lui, il se pourrait qu’il soit également un bon prétexte cathartique à d’autres maux plus… enfouis. Duh.

A mesure qu’il s’englue dans son histoire rapiécée et malhabile, Gambit penche imperceptiblement la tête sur le côté, toujours sans mot dire (ses yeux lancent quelques éclairs qui passent inaperçus dans la pénombre ambiante). Alors que sa voix se tarit enfin, elle fait glisser sa langue d’une incisive à l’autre avant de produire un claquement agacé contre son palais.

Les yeux s’abaissent une seconde, penseurs... “Ta soeur… elle s'appellerait pas..” ..avant de remonter sous un sourcil arqué de perplexité. “et mon cul c’est du poulet ?” Elle secoue la tête de gauche à droite, en soupirant. “Fais moi plaisir, me prends pas pour une conne au moins p’tit merdeux.” Elle se redresse et prend une posture plus stable, bien décidée à lui faire passer l’envie de recommencer - et peut-être qu’il y a autre chose de plus égoïste là-derrière, rancœur tenace dans les tripes, colère sourde au cœur qui appuie la trachée, ronge la patience, bouffe le sang-froid. Implosion au bout des doigts.

“Voilà ce qui va se passer : quoi que t’ai pris, tu vas gentiment le remettre en place, ensuite j’vais te botter l’cul pour l’exemple, tu vas ramasser tes dents en chialant, et tu remettras pas les pieds ici.” Il ne lui vient pas à l’esprit qu’elle pourrait le méjuger, et si elle fait l’étalage d’une trop grande confiance en elle, elle ne craint pas de perdre la face ou de faillir à la promesse qu’elle vient de lui faire à demi-mots. D'un autre côté, elle a quand même confiance en ses capacités et elle n'a jamais eu peur de se battre. Son corps se tend et elle ancre des appuis solides dans le sol, légèrement de biais, poings serrés. “Capish ducon ?”