entre les braises on marchera (et la nuit noire nous embrassera) Ϟ Galahad

Le mois de février avait filé à toute vitesse, si bien que Galahad n’avait pas vu le temps passer. Le manque d’effectifs s’était rapidement fait sentir, mais après tout, on l’avait déjà prévenu lors de son arrivée. La quantité de travail passait tantôt de la pénurie à la surcharge de travail sans crier gare, mais il préférait rester occupé que de ne rien faire de ses journées. Il était arrivé il y a peu et son rôle lui imposait moralement de montrer l’exemple d’une personne qui sait travailler dur sans pour autant oublier l’importance du côté humain qu’il fallait avoir avec son prochain.
Qui de mieux que les enfants pouvaient le lui rappeler chaque jour ?

Là où certains adultes pouvaient parfois se sentir brisés par la vie qui leur était imposée, la jeunesse et l’insouciance des plus petits ne cessaient d’émerveiller Galahad, surtout dans les moments les plus difficiles.
Peu importe ce que l’on pouvait penser des Chevaliers, le navire tenait bon face à la tempête (ou plutôt face à son précédent passage). Arrivé au mois de mars, les températures s’élevaient lentement : un changement bienvenu pour le confort comme pour le moral. Difficile d’être insensible au froid mordant de l’hiver et au ciel grisâtre qui pouvait l’accompagner.

Une tasse de thé à la main, le Chevalier se dirigea lentement vers les escaliers afin d’accéder aux étages inférieurs. Un breuvage peu adapté au sommeil et bien qu’ils ne manquent pas de quoi faire des infusions, le repos n’était pas ce qu’il cherchait pour le moment. Son pied rentre soudainement en contact avec quelque chose de tendre, de très petite taille. Il abaisse son regard et constate la présence d’un minuscule chien en peluche, visiblement raccommodé de nombreuses fois par le passé.

Jayden eut un soufflement de nez, un léger sourire se dessinant sur son visage. S’il y avait bien une chose qu’il n’arrivera jamais à changer, c'était bien l’incapacité des enfants à ranger quoi que ce soit. Il s’accroupit pour ramasser la peluche et croisa le regard de Mum qui montait silencieusement les escaliers.

"Oh, bonsoir ! Pas encore, non. Il est encore trop tôt pour moi."

L’ancien professeur se redressa et rendit un sourire à son ami. Ils étaient… amis n’est-ce pas ? Ils n’avaient pas eu énormément d’occasions de discuter longuement étant donné leurs emplois du temps plutôt différents (notamment avec les cycles de sommeil atypiques de Mum), mais il appréciait toujours sa présence, qu’il soit silencieux ou non. Il remarqua les quelques jouets éparpillés dans les escaliers et se mit à les ramasser un à un.

Les poches remplies de jouets et autres peluches, Galahad descendit jusqu’au niveau de Mum et s’assit sur les marches. Il trouvait ça plutôt impoli de ne pas parler à son interlocuteur à son niveau et puis il pouvait bien s’accorder une petite pause.
Il prit une gorgée de son thé et entoura le mug de ses mains. Il aimait toujours autant la sensation de chaleur réconfortante d’une tasse à bonne température.

Galahad ne le lui avait pas encore dit, mais il lui était arrivé de trouver Mum endormi dans des endroits qu’un humain normal ne considérerait pas comme un endroit approprié pour dormir. Peut-être qu’il le savait déjà, mais c’était tout de même un comportement qu’il n’avait jamais vu auparavant. Les enfants avaient peut-être déteint sur lui... Il était peut-être temps d’aborder le sujet.

"C’est gentil de t’inquiéter de mon sommeil, tu t’occupes déjà de tellement de nos enfants… c’est sans doute toi qui devrais te ménager et peut-être dormir dans ton lit plus souvent."

Il ne voulait pas paraître condescendant, loin de là, mais il ressentait le besoin de lui faire part de ses quelques petites inquiétudes, aussi triviales qu’elles pourraient paraître. La confiance qu’il accordait envers ses compagnons n’était pas feinte, mais certains d’entre eux bataillaient encore pour trouver la force de bien faire les choses, pour les autres comme pour eux-même.
Il ramassa un dernier jouet qu’il n’avait pas remarqué plus tôt. Dans la lumière des guirlandes, ses yeux clairs prenaient de nombreuses teintes en fonction de l'orientation de son visage.

”On devrait mettre des bacs à jouets un peu partout dans le château. J’ai bien compris que les enfants continueraient à les éparpiller mais cela nous permettrait de les ranger plus facilement… enfin c’est juste une idée comme ça."

Jayden était ici depuis peu, mais il apprenait à se sentir chez lui jour après jour. Bien qu’il ne l’avouerait peut-être pas à voix haute, il était fier de ne pas avoir perdu tout espoir en quittant les Greens.

Il a un petit sourire alors que Mum tente de défendre ses habitudes de sommeil avec humour et utilise un ton tout aussi ironique à son tour.

"Ne me force pas à utiliser mes incroyables pouvoirs de Chevalier pour te forcer à dormir dans un endroit décent… nous devrions essayer de te trouver un hamac." répondit Galahad avec un petit rire. Il pose son regard sur son voisin.

"Je doute pouvoir te faire changer d'avis, mais si tu pouvais au moins emporter un coussin et une couverture avec toi pour tes lits de fortune, cela serait déjà un peu plus raisonnable."

Il lui avait fallu seulement quelques minutes avec les enfants pour comprendre à quel point s'occuper d'autant de personnes si jeunes pouvait épuiser les nounous du groupe. Dans ces temps difficiles, tout le monde devait se serrer les coudes et faire en sorte que personne ne perde espoir de construire un avenir meilleur, les adultes comme les enfants.
Il avait vu ces petits monstres à l'œuvre et son respect pour Mum n'en était devenu que plus grand. Il était assez amusant de constater à quel point les enfants semblaient vouloir provoquer le plus de désordre possible, alors que l'ancien professeur s'efforçait de trouver de nouvelles façons d'améliorer l'organisation des Chevaliers. Mais cela n'était qu'une pensée qui lui traversait parfois l'esprit, des jouets qui traînent ça ne faisait pas beaucoup de mal.
Il retira les peluches de ses poches et les posa dans un coin pour que personne ne trébuche dessus. Il se rassit à côté de Mum.

"Donc j'imagine que si je retrouve mon carnet de notes à nouveau rempli de dessins, je devrais te considérer comme responsable." ajouta Galahad en lui faisant un petit clin d'œil complice.

Il but quelques gorgées de son thé en réfléchissant aux événements de la journée passée. Ce n'est pas comme si son voisin lui avait posé une question si compliquée que ça, mais cela l'avait toujours dérangé de répondre machinalement d'un simple "Oui" ou "Non"; il ne voyait pas vraiment l'intérêt de ne pas répondre de façon honnête, à vrai dire. Après quelques secondes de silence, il reprit à nouveau la parole.

"Je pense que je commence à m'habituer au rythme… j'ai parfois la sensation que certaines journées ne se termineront jamais et à l'inverse certaines défilent à toutes vitesses. Je n'ai pas vu les semaines passer mais je pense que nous avançons, peu à peu. Qu'on ne fait pas tout cela pour rien. Donc… je dirais que c'était une bonne journée, oui."

Son regard semble un peu perdu pendant un instant, comme s'il venait de réaliser que à tirade était peut-être un peu trop précise. Toujours à partir dans des tangentes, hein Jayden. Il se racle la gorge comme pour chasser la légère gêne qui l'envahit.

"J'espère que la tienne était également satisfaisante. Si je te croise à une heure si tardive c'est que tu as dû être bien occupé."

Ce que Galahad n'avait pas mentionné, c'était parfois la solitude qu'il pouvait ressentir. Peut-être un peu paradoxal quand on était entouré d'autant de personnes différentes, toutes et tous avec leurs rôles et leurs parcours différents. Alors on essayait de les écouter, de prêter l'oreille à ceux qui en avaient besoin, quand on en avait le temps.
Il y avait peut-être des semaines où Jayden venait à oublier de considérer à s'occuper de ses propres problèmes, de s'ouvrir également à quelqu'un d'autre et de parler de ce qui allait comme de ce qui n'allait pas. Il était encore très secret, il l'avait toujours été même quand il était petit, après tout. Il voudrait le faire parfois, mais il avait pourtant tant à dire sur les regrets, les rêves, les espoirs… Ce flot de pensées ne s'arrêtait jamais véritablement, comment pourrait-il infliger cela à qui que ce soit d'autre que lui-même ?

Galahad a un petit rire alors que son voisin évoque son manteau. On aurait dit une réponse donnée par un de ses élèves, un peu comme le bon vieux "Mon chien a mangé mes devoirs"... sauf qu'il n'y avait plus vraiment de chiens à Arcadia Bay, du moins à sa connaissance.

Il fit passer entre ses doigts la chaîne autour de son cou, puis le bijou soutenu par cette dernière : une croix en or qu'il avait tendance à laisser cachée sous une chemise. Les américains pouvaient être plutôt ostentatoires avec leur appartenance religieuse, mais c'était quelque chose qu'il avait légèrement dissimulé pour la société britannique et sa laïcité. Et aussi parce qu'il avait mis un peu de temps à se réconcilier avec sa propre foi. Il ne l'était pas encore totalement.

"Je vais vraiment devoir te surveiller, c'est ça ? C'est à se demander qui va devoir vérifier que je dorme suffisamment…"

Jayden avait tendance à adapter sa quantité d'énergie en fonction de son auditoire, un peu comme s'il absorbait les émotions de ceux qui l'entouraient. Il n'avait que rarement rencontré une personne aussi singulière dans sa vie qui n'était plus si courte que cela, aujourd'hui.

Mum était une personne si calme, si posée, qu'il était facile de se laisser porter par les quelques mots qu'il prononçait. La voix était parfois si douce, le regard tellement perdu dans le lointain qu'il lui arrivait de craindre qu'elle ne s'éteigne définitivement, qu'elle ne s'évanouisse si l'on n'y faisait pas suffisamment attention.

Galahad regarde Mum avec intensité alors qu'il reçoit le conseil de repos de ce dernier, remarquant à peine la main posée sur son épaule.
Se reposer ? Lui ? Bien entendu, tout le monde en avait besoin de temps en temps, et "prends soin de toi" était une phrase qu'il avait beaucoup entendue au cours de sa vie. La plupart du temps, il acquiesçait simplement, disant qu'il allait faire attention. Mais il y arrivait-il réellement ?

"Je ne suis pas certain de pouvoir y arriver, si je devais être transparent avec toi. J'avais déjà du mal à le faire avant la Tempête, alors aujourd'hui, alors que nous avons tant à faire, à reconstruire… cela me semble presque impossible. Contrairement au fait de dormir dans un lit." acheva-t-il avec un petit clin d'œil.

Il était rare que Jayden parle de ses échecs à qui que ce soit, après tout, tant de monde comptait sur lui aujourd'hui. Certes, il n'était pas Arthur et il ne pensait pas qu'il pourrait l'être un jour, mais il ne se voyait pas parler de ses doutes à n'importe qui. Les Chevaliers… non, tous les habitants d'Arcadia Bay avaient besoin d'espoir, pas que ceux qui assument les rôles à responsabilités se plaignent de leur fatigue.
Mais c'était différent avec Mum, il faisait partie des premiers de leurs groupe, et même s'il n'en avait pas le titre, Galahad le considérait bien plus comme un Chevalier de la table ronde que n'importe qui d'autre.

"Ca serait plutôt au chef- à Arthur, pardon, de ralentir un peu. J'aimerais bien avoir plus de temps en sa compagnie. Surtout en dehors du travail, histoire de changer."

Sa gorge semblait soudainement très sèche. Il but une gorgée de son thé… froid. Il espérait que ça n'avait pas été mal interprété. Il se dépêcha d'enchaîner, mais ça pourrait peut-être aggraver son cas…

"Enfin… Elle est très inspirante, elle est surchargée de travail et arrive à être efficace, c'est juste dommage qu'on ne la voit pas très souvent. "

Voilà. Avec un peu de chance, sa justification était suffisamment convaincante pour que Mum ne pose pas plus de questions là-dessus. Pitié.

Galahad eut un petit rire nerveux, rire qui était très inhabituel pour lui, ses plus proches connaissances le savaient très bien. Composé, maître de ses émotions et de ses expressions, c'était le Galahad auxquels ils étaient habitués. Étrange à quel point briser des petits réflexes, de petites habitudes pouvaient parfois trahir les pensées d'un homme.

Quand il avait le temps de réfléchir à tout ce qu'il lui arrivait, c'était comme si finalement… énormément de choses le préoccupaient. S'enfermer dans le travail… c'était une manière très pratique de rester dans le déni de ses soucis, bien que cela soit évident très loin d'être sain. Voilà le genre de pensées qu'il gardait pour lui, qu'il se devait de cacher.

Se confier un peu à Mum comme il venait de le faire… peut-être que ça a du bon, après tout. Mais parler des véritables problèmes, des véritables poids… c'était une autre paire de manches.

"Je crois que j'ai l'impression de beaucoup avoir à penser en permanence, depuis toujours."
Il se surprend à se laisser un peu porter dans des sujets si rarement abordés, même dans son propre esprit. Ses inquiétudes lui paraissaient tellement triviales, tellement communes à tous les habitants d'Arcadia Bay… il se sentait presque coupable d'en parler.
"Du repos physique, ça me paraît faisable. Mais en toute honnêteté… c'est un peu comme si mon esprit refusait de s'arrêter de penser, de s'inquiéter, peut-être."

Cela rassurait Jayden que Mum s'inquiète visiblement d'Arthur tout autant que lui. Il s'en était déjà douté, connaissant sa gentillesse habituelle, mais avoir la confirmation sous les yeux lui donnait un peu de baume au cœur.
Son sourire s'élargit alors que son compagnon lui soumet son idée. Il ne le pensait honnêtement pas aussi joueur… enfin pas forcément avec des adultes. Lui qui semblait si passif en général…
A ses dernières paroles, l'ancien professeur sentit ses joues s'embraser. Était-il rouge ? Avait-il déjà était rouge par le passé ? Pouvait-on le voir avec si peu de lumière ? Seigneur, c'était extrêmement embarrassant… un embarras néanmoins teinté d'excitation.

"C'est une idée, en effet… une suggestion que je n'attendais vraiment pas de ta part, c'est sûrement les enfants qui ont déteint sur toi ! Bravo à eux… Si on arrive à atteindre 1 heure de repos cela serait déjà très bien… avec ton aide je sais que cela serait faisable, même si l'on parle d'Arthur."

Il hésite un instant alors que le silence s'installe pendant quelques secondes. Et, sans plus réfléchir, la question sort de sa bouche sans aucune retenue.

"Est-ce que… tu as déjà eu quelqu'un dans ta vie ? Enfin… si tu veux bien en parler bien sûr."

C'était le genre de question qu'il n'avait jamais vraiment posée auparavant. Trop… gênant ? Inhabituel de sa part ? Mais Galahad avait changé de bien plus de façons que de son nom. Et il ne comptait pas enterrer son passé si facilement.

S’il était seul ce soir, Galahad se sentirait bien seul. A cette heure de la nuit, dans un monde si différent de celui dans lequel il avait grandi, dans un groupe qui semblait devenir si petit… il lui arrivait de se sentir affreusement seul, peu importe à quel point il pouvait être entouré en réalité.

Mais Mum était différent, il semblait tangible, bien plus réel que qui que ce soit d’autre ici… à part Arthur peut-être.

Il lui arrivait de se sentir coupable d’avoir ce genre de pensées, ils étaient après tout tous aussi réels les uns que les autres.
Parfois, il avait l’impression de voir tout d’une façon parfaitement claire, limpide; comme si la tâche qu’ils avaient devant eux était d’une simplicité évidente. Certains jours, il lui arrivait d’avoir l’impression d’être dans une complète obscurité.

Jayden a un petit rire à la remarque de son ami.

"Certains se cachent plus ou moins bien d’être de petits monstres."

L’ancien professeur regarde son ami avec attention, il y lit beaucoup d’hésitation, une posture différente de la normale, un regard empli d’une tristesse que le Chevalier ne pensait pas pouvoir trouver dans une personne aussi solide que Mum. Il y a des choses que même le temps ne peut guérir seul, mais peut-être ne veut-il pas en parler et peut-être que Galahad n’est pas la bonne personne pour se confier.

"Novembre… semble affreusement court."

Des dizaines de questions se bousculent pourtant dans son esprit, il a la sensation de ressentir sa peine, même s’il ne l’a jamais vécue lui-même, du moins pas de la même manière. Il aimerait en dire tellement plus sur ses condoléances, mais il n’osait pas poser la moindre question, de peur de commettre l’irréparable. Qui d’autre que Mum pouvait comprendre réellement ce qui lui était arrivé, l’intensité des sentiments qu’il pouvait ressentir ? Peut-être pouvait-il l’inviter à faire un pas en avant. Comme son bras qui était auparavant brisé, le cœur de Galahad semblait peut-être prêt à reprendre du service.

"J’ai eu quelques relations ces dernières années, mais rien de très durable.” Il sent sa gorge se nouer. Ce n’est pas vraiment ses relations amoureuses qui lui pesaient au quotidien.

"J’ai… perdu mon père il y a une dizaine d’années. Ca paraît presque ridicule d’avoir du mal à passer au-delà, alors que nous avons tous perdu ceux qui nous étaient chers... C’était vraiment un homme d’une grande sagesse et j’ai eu beaucoup de chance d’avoir été élevé par lui."

Il joint ses mains en croisant les doigts alors marque une pause. Il se trouve un peu injuste envers lui-même, injuste de ne pas se laisser ressentir ce qu’il ne peut éternellement repousser; mais il avait toujours du mal à s’y autoriser, même après tout ce temps.

"Clementine…" sa voix se brise, ses doigts enserrent ses mains avec plus de fermeté. "… ma petite soeur, Theo, mon petit frère, ma mère… ils me manquent tous affreusement. Clementine, elle… adorait me regarder jouer du piano, je lui avais donné quelques cours il y a quelques années… je crois qu’elle voulait juste m’imiter un peu." il a un petit rire nostalgique, teinté de tristesse et de mélancolie.

Jayden fixe l’obscurité des escaliers, les yeux embués de larmes. Il ne veut pas pleurer, il ne veut plus pleurer, autant par embarras devant Mum que pour lui-même. Il s’efforce à reprendre sa tirade.

"Joshua, Charlotte, Clementine et Theodore Taylor. Je pense que tu peux comprendre ce que je donnerais pour avoir une photo d’eux aujourd’hui…"

Il se racle la gorge, tente de reprendre le contrôle de sa voix tremblante. Il regarde Mum dans les yeux.

"Il m’est parfois plus facile d’essayer de les oublier, mais ils font partie de moi. Et si au delà de cette bulle il n’y a plus rien qui nous attend… je refuse de laisser leur mémoire s’éteindre."

Galahad fronce les sourcils, ses yeux bleus où l’on pouvait auparavant y lire du doute et de la tristesse paraissent à présent profondément inquiets pour son ami.

"J’espère que tu réussiras à te livrer sur ce sujet à quelqu’un. Tu sauras toujours où me trouver lorsque tu te sentiras prêt."

Encore une fois ouvrir son cœur n'était pas dans les habitudes de Jayden, Galahad accueille le bref contact physique sans montrer une quelconque réaction. C'était inhabituel, de façon très évidente. Mum réservait sans doute ce genre de choses aux enfants, pas vraiment à son égal. L'ancien professeur se sent étrangement privilégié, tout à coup. Il ne peut s'empêcher de laisser transparaître sa peine et sa compassion alors que son ami lui énonce sa douleur.

"On ne nous a pas vraiment laissé le choix ou le temps de faire notre deuil, peu importe ceux qu'on a dû laisser derrière. Pour mon père, j'ai pu trouver ce temps, mais je pense qu'on ne s'habitue jamais à cette douleur, on apprend simplement à vivre avec et… ça devient un peu moins difficile au fil des années. Cela fait partie de moi, simplement."

Les doutes de Mum, ses théories sur ce qu'il y a au dehors, si cet extérieur est un tant soit peu accessible… difficile de dire quoi que ce soit quand tout ce qu'on peut faire c'est des suppositions, se rattacher à des croyances, que ces dernières soient religieuses ou non. Un peu d'espoir… c'était sans doute tout ce qui les faisait encore tenir. Mais qui pourrait blâmer les plus pessimistes lorsque que personne n'avait de réponse, que personne n'en aura peut-être jamais ? Jayden ne pouvait lecturer personne sur ce sujet, chacun devait faire ses propres choix sur le sujet. Il finit un reste de thé dans sa tasse et fit une légère grimace. Ugh. Froid. Il s'éclaircit la gorge avant de continuer.

"Je pense que toi et moi serons six pieds sous terre lorsque cette bulle finira par disparaître. Peut-être que le monde continue simplement d'avancer sans nous, mais j'imagine que chacun a son opinion sur le sujet, un peu comme la vie après la mort et tout ce qui s'ensuit."

Galahad joue avec la croix autour de son cou un instant, l'air distrait. Il regarde par la fenêtre, le ciel est d'une noirceur qu'aucune ville dans le monde avant n'aurait pu atteindre; ciel qui aurait été grisâtre de la pollution visuelle et chimique d'un monde moderne. Il se leva lentement, les marches n'étant pas des plus confortables. Il resta dos à son interlocuteur un instant, expirant lentement afin de reprendre sa contenance habituelle. Une nuit emplie d'énormément d'émotions, une nuit qui était peut-être loin d'être finie. Il se retourna enfin, un doux sourire sur son visage.

"Veux-tu bien marcher un instant avec moi ? J'aimerais prendre un peu l'air et j'aimerais avoir un ami avec moi pour m'accompagner, si tu ne trouves pas le repos."

Il se faisait tard, mais peut-être que marcher tout en discutant lui ferait un peu de bien.