dépayser (࿏) tobacco & blackbear

un espoir sortant le monstre de sa cage

L'heure était venue de partir. Elle se lève de ce lit au sommier brisé, aux coussins déchirés pour rejoindre sa plantation. Ses yeux s'y perdent bien quelques secondes. La brune récupère la boîte métallique cabossée traînant sous son canapé, et l'ouvre avec hâte. Entre les sachets de tabac, elle trouve quelques cigarettes roulées auparavant, au cas-où. Sa main en sort trois des cinq restantes. L'une d'elles se cale entre ses lèvres, alors qu'elle récupère une allumette au bois cassé, qu'elle frotte contre le mur pour l'allumer. Quitte à s'en brûler le bout des doigts, le feu naît, et vient vite allumer la clope, alors que le baton tombe sur le canapé, laissant une nouvelle trace de brûlé dans son tissu.

Ces première bouffées la font tousser. Mais elle ne peut rien demander de mieux que cette toux. Cette douleur qui la garde dans la réalité, aussi horrible qu'elle soit. Ses douleurs sont bien pires, ces derniers jours. Si bien qu'elle doit être allongée à des moments, ce qui rend la lutte contre le sommeil bien plus compliqué. Mais aujourd'hui est un tout autre jour. Peut-être quelque chose qui la fera revivre à nouveau. Même elle aimerait retrouver ces moments de joie qu'elle avait. Heureusement, un espoir s'était levé devant ses yeux.

Un espoir sorti de nulle part. Celle qui ne changeait pas d'avis, qui pensait pouvoir se débrouiller seule, avait trouvé une raison de sortir dans ce qu'elle haïssait le plus. Ce grand homme imposant, qui entre l'achat de deux clopes, avait décidé de lui tendre la main tant bien la vendeuse avait du mal à camoufler sa douleur. Les heures passées à se noyer dans l'odeur du tabac froid, tandis que la douleur elle-même peinait à la tenir éveillée. Chaque mégot écrasé contre sa peau faisait de moins en moins d'effet.

Elle a finit par accepter. Et bien que sur le chemin les questions fusaient dans ses pensées, son seul souhait serait de se réconcilier avec le mot " famille " en ce jour. Chaque seconde qui passait montait de plus en plus ses espérances quant à sa visite. La vagabonde avait trop d'espoirs, beaucoup trop. Elle pensait qu'elle se sentirait à l'aise à nouveau. Qu'elle trouverait quelqu'un comme la fleuriste, qui trouverait une façon de l'aider à dormir. Peut-être étaient-ce de petites choses, mais c'est ce qui l'a toujours fait tenir, comme à l'époque. Cela a toujours été comme ça. C'étaient les petites choses qui la rassuraient le soir. C'étaient les petites choses qui l'aidaient à tenir les journées. Mais ceci n'était pas une petite chose. Elle ne s'en rendait pas compte. C'est un engagement. C'est un échange. Des ressources contre d'autres. Son tabac contre un toit. Sa présence contre un repas. C'est ce qu'elle se disait.

Malgré ces idées qu'elle se fait, son coeur est serré. Elle n'a plus la force de cacher sa jambe droite, qui boîte. On croirait qu'une balle y est logée tant celle-ci traîne. Ses paupières peinent à rester ouvertes, mais elle peut apercevoir l'ours noir. Un bâillement, ses paumes viennent frotter son visage. Comme seul signe de salut, elle lève la main en sa direction.

Sa main tremblante vient chercher dans sa poche deux cigarettes roulées dans du papier journal qui sont typiques de sa vente, avant d'en tendre une à l'homme, lui lançant un regard se voulant neutre, mais qui la trahissait dans sa fatigue.

" J't'ai amené ça. "

un espoir sortant le monstre de sa cage

Boule au ventre. Le silence qui pèse lui donne l'impression de s'écraser. Il ne parle que rarement, certes. Mais la vagabonde avait l'idée que, peut-être, prononcerait-il au moins une salutation. La cigarette tombe dans sa poche, et les yeux de l'hispanique la suit du regard. Pas le temps pour ça, elle décide de ranger également la sienne. Elle se sent oppressée, comme dans un ascenseur bloqué, comme dans une foule pressée. Il avance, toujours pas un seul mot de sa part, même pas un bruit. Anthonette le suit, gardant ses distances. Ses pupilles fatiguées scrutent les recoins du camp, malgré sa maigre curiosité sur l'endroit. La jeune fille attend avec impatience de trouver cette chose qui la fera changer d'avis. Une personne, une salle, une ambiance, peu importe.
Elle prendra ce qui lui est offert.

La phrase de l'homme, qui la dépasse à peine de quelques centimètres, la coupe dans sa pensée. Oui, elle cultive. Elle cultive la dépendance de tant pour manger un jour de plus. Mais n'importe qui avec un bout de terre, une notice et l'envie pouvait se le permettre. Elle, a juste sauté sur l'occasion. Elle, ne se sent pas spéciale, loin de là.

" Ouais, mais c'est pas incroyable non plus, après. J'ai eu la chance de trouver de quoi faire pousser, mais ça doit pas être bien différent d'autres plantes."

Elle se racle la gorge, poing devant la bouche. À peine assez pour que le mouvement lui picote la trachée. Juste assez pour redonner un poil d'énergie. Première fois depuis longtemps que elle, faisait un effort pour s'intégrer. C'était petit, mais c'était énorme dans ses yeux. Elle voulait se sentir utile, également. Si il fallait faire plus que du tabac, en l'échange de la chose qu'elle cherche, elle le ferait. Et bien vite, devant elle, le lieu de culture. Encore plus loin de l'accueil qu'elle espérait, on lui montre déjà son futur travail. Peut-être préfère-t-il commencer par le pire, se disait elle. Peut-être que le meilleur est à venir.

" C'est... beau, j'imagine. "

Elle espère Tobacco. Pour la première fois, une petite lueur brille dans son coeur, et elle espère dans ce qu'elle, auparavant, jamais n'aurait accepté. Travailler aux ordres d'autres, vivre en communauté, en "famille", jamais l'épave féminine n'aurait accepté cela quelques mois auparavant. S'investir, elle a l'habitude de le faire seulement pour elle-même. Aider l'autre, par moment, surtout par pitié. Mais, c'est rare.

Mais elle est prête à donner. Pas plus qu'elle ne sait faire, certes, mais elle est prête à le faire. Alors elle le suit, elle garde toujours ses distances. Mais elle parle. Elle veut briser le silence qui a prit ses aises autour d'eux. Elle tente, de parler au géant presque muet. Elle essaye. C'est un résumé de sa journée, elle essaye.

" J'imagine que c'est mort pour fumer à l'intérieur, du coup. "

un espoir sortant le monstre de sa cage

Elle soupire. Même fumer était limité dans cet endroit qu'elle s'imaginait être le firmament. Elle n'a rien contre le fait d'aider un groupe, dans l'idée, mais si elle doit changer son attitude pour cela, changer ses habitudes, ça n'irait pas. Lui, va autre part pour fumer. La vagabonde imagine un fumoir, ou simplement fumer dehors, mais cela sous entendait que même dans son propre endroit de sommeil ce ne serait pas possible. Sans parler des jours de froid et de pluie dans le cas où il faudrait sortir, ou bien l'horrible odeur qui s'accumulerait dans un fumoir. Elle ne s'embête pas à poser la question, se doutant que la réponse correspondrait sûrement à l'une des deux qu'elle s'imaginait.

Alors elle marche, le suivant toujours sans un mot. Ses pensées défilent au même rythme que les murs de Babylone, alors qu'elle se questionne toujours plus. Elle n'est pas née pour plaire aux autres. Elle ne veut pas se forcer à plaire aux autres. Si Tobacco les rejoignaient, elle fumerait. Peu importe les regards, peu importe le jugement, même si les cendres tombaient dans les plantations, elle fumerait. Si le groupe décidait de la virer après ça, tant pis.

Hormis une jardinière de plus, elle n'apporterait rien à l'endroit, c'est ce qu'elle se répétait. Elle ne sait rien faire d'autre, elle ne fait rien d'autre. Elle fume, elle fait pousser du tabac. Rien d'autre. C'est pourquoi lorsque la question de l'ours fut entendue, elle resta silencieuse un petit moment avant de répondre. Même elle, ne se souvenait plus de ce qu'elle savait faire avant la tempête.

- Je... je sais réparer des caisses.

Elle se sentait de plus en plus ressembler aux pirates. Le tabac, les voitures, c'était chez eux. Peut-être que son addition aux Greens les aideraient à rivaliser face au clan rouge, mais ce serait beaucoup trop optimiste. Il faudrait qu'elle apprenne aux autres pour être efficaces, et de toute façon, cela ne collait en aucun cas à leurs idéaux.

- Et toi, tu fais d'autres choses ? J'veux dire, à part fumer.

Car après tout, elle n'en savait pas tant à propos de lui. Un surnom, un visage, ses achats. C'était presque un inconnu qui la menait dans quelque chose qui aurait très bien pu être un piège.

un espoir sortant le monstre de sa cage

Sursaut. Elle ne s'attendait pas à ce qu'il hausse le ton de cette façon, loin de là. On lui demandait ce qu'elle aimait faire, elle n'a pas répondu honnêtement, mais elle a répondu ce qu'elle savait faire. Anthonette le savait très bien, qu'elle avait le profil parfait pour une pirate. Mais elle n'était pas sauvage comme eux. Ou peut-être que si. Elle n'avait jamais fais face au groupe en soi, plutôt quelques têtes qui se sont retrouvées chez elle par hasard, et qui étaient pour la plupart loin des clichés que l'on fait du groupe rougeâtre. Peut-être qu'elle y avait sa place au final, là-bas. Peut-être pas ici. Le doute s'installait peu à peu. Une appartenance quelconque sonnait étrangement aux oreilles de la vagabonde. S'était-elle trompée depuis le début ? À penser que tous les bénéfices se trouveraient en solitaire ? Elle n'en avait aucune idée.

" J'ai juste répondu honnêtement. "  

Honnêtement, pas vraiment. Mais elle y croyait dur comme fer, elle qui se mentait régulièrement. Elle aimait se convaincre de choses, se mentir pour se voir d'un meilleur jour. Pour moins se morfondre sur elle-même. Et si elle y croyait, les autres pouvaient bien y croire aussi. Les autres, ce sont ces agriculteurs, qui les regardaient désormais, ce sont les addicts, dont Tobacco profitait pour survivre, ce sont les commerçants, chez qui elle recherche protection et compagnie. Comme un enfant qui pensait que si elle ne voyait pas, les autres non plus.

Et pourtant, elle avait l'impression que le géant, le chasseur voyait très clair à travers tout ça. Un chasseur, qui aidait les animaux, par ailleurs. Elle n'y connaissait pas grand chose aux méthodes des Greens, et de ce qu'elle savait, la chasse n'avait rien de l'aide ou de l'empathie, plutôt du meurtre et de la survie. Mais elle voulait en savoir plus, sa curiosité s'était légèrement levée avec la réponse.

" Je me demandais simplement ce que toi, tu faisais ici. D'ailleurs, comment ça t'aides les animaux ? "

Même si il aide les animaux, ne devrait-il pas d'abord se préoccuper de ses camarades ? Bien qu'avec la tempêtes, certains animaux du zoo avaient survécu, pourquoi s'embêter à les aider, plutôt que de s'en servir pour un élevage, pour une source de nourriture en plus ? De quoi vivre un peu plus à l'aise, s'éloigner un peu de la survie et revenir à un rythme de plus en plus simple ?

Puis, il lui propose d'essayer. Essayer d'aider ces animaux ? Peut-être allait-elle trouver cette pièce manquante, qui l'empêchait d'agir comme les autres, en accomplissant cela. Peut-être, se sentirait-elle à nouveau apte à communiquer. Et puis pas à pas, elle rejoindrait enfin la norme à nouveau, si celle-ci existe encore à Arcadia Bay.

" Pourquoi pas. Ça peut être intéressant. "